Productrice et distributrice (« Taxi », « Rosetta », « Adolphe », « Bon voyage », plus récemment « Les Volets verts » de Jean Becker avec Gérard Depardieu et Fanny Ardant…), cofondatrice d’ARP Sélection, autrice d’une formidable série d’émissions consacrées sur France Culture aux « dix films qui ont changé le monde », Michèle Halberstadt vient de recevoir le prix Fabienne-Vonier, une distinction destinée aux personnalités féminines qui font le cinéma.
De mois en mois, la fréquentation des salles obscures reste de 25 à 30 % inférieure à ce qu’elle était avant le Covid. Cette tendance…
De mois en mois, la fréquentation des salles obscures reste de 25 à 30 % inférieure à ce qu’elle était avant le Covid. Cette tendance peut-elle encore être inversée ?
Depuis quelques semaines, les chiffres sont meilleurs et encourageants, grâce aux succès de « Novembre », « Simone », « L’Innocent »… « Revoir Paris », « Les Enfants des autres », « As Bestas » ont trouvé leur public, même si dans le « monde d’avant », ils auraient certainement fait mieux. Mais malgré ces quelques bonnes nouvelles, incontestablement, on constate une désaffection d’une partie du public. Ce sont les plus de 50 ans et les retraités qui, depuis le Covid, viennent beaucoup moins : nous ne nous attendions pas du tout à cela. Les jeunes, en revanche, continuent d’aller au cinéma, en particulier pour voir les « blockbusters », qui marchent bien.
Comment le cinéma français peut-il s’adapter à cette moindre demande ?
Il faut produire différemment. Plus que jamais, il faut se demander : est-ce que moi, producteur, distributeur, j’ai vraiment envie de produire ou de distribuer ce film ? Ce projet est-il réellement audacieux, ambitieux, intéressant, différent ? Et, le marché s’étant rétracté, il va falloir que les films coûtent moins cher. Le budget de certains longs métrages est totalement démesuré. Je pense à « Rumba la vie », onze millions d’euros de budget, principalement parce qu’il y a des têtes d’affiche, et tout ça pour un flop en salle, ou aux « Vieux Fourneaux 2 », également un échec malgré un budget considérable.
Pourquoi de tels budgets ?
Souvent parce que les acteurs connus demandent des cachets excessifs. Ils auraient tort de ne pas le faire, puisqu’on leur donne. Je produis pas mal de films d’auteur et j’en ai un peu marre de certains comédiens et comédiennes qui sont fiers de jouer dans ces longs métrages souvent très en prise avec la réalité sociale, mais qui nous demandent 2 000 ou 4 000 euros par jour de promo pour leur maquilleur, leur styliste, un chauffeur… C’est anecdotique, mais ce comportement est révélateur d’une déconnexion : une partie du cinéma français n’a pas encore pris la mesure de la fragilité de notre modèle économique.
Faut-il réduire le prix du ticket (6,70 € en moyenne selon le CNC) ? Les exploitants de salles, dont c’est la ressource principale, ne sont pas d’accord…
Je suis pourtant convaincue qu’il faut baisser ce tarif : le fait que Netflix, Amazon, Disney proposent des abonnements à dix euros par mois a modifié notre perception de ce tarif. Il faut que la séance soit financièrement plus accessible, et que les salles renforcent leur lien avec le public, en inventant des festivals, en multipliant les rencontres, débats, avant-premières, en faisant en sorte que la séance soit davantage qu’une séance…
Le plaisir du cinéma ne se limite pas au fait de regarder un film, il vient aussi du partage et de la conversation qui peuvent suivre. Les salles uniques ou à deux écrans en province résistent mieux car elles ont déjà fait ce travail de s’affirmer comme de vrais lieux de vie.
Les exploitants estiment qu’il y a trop de séances dans la même semaine pour le même film, souvent à perte…
C’est un raisonnement que je ne peux pas entendre : il revient à sacrifier les films plutôt que de les aider à trouver leur public.
Comment expliquez-vous que le CNC n’organise pas les états généraux réclamés par une grande partie de la profession ?
Je n’ai pas l’explication. Le métier est en attente de ces états généraux mais il ne faut pas non plus tout attendre du CNC ou de l’État. Nous, producteurs, distributeurs, exploitants, devons aussi revoir notre façon de travailler.
On a vu beaucoup de cinéastes aller tourner pour les plateformes, cela vous inquiète-t-il ?
Ils se sont orientés vers le streaming car ils n’arrivaient pas à financer leurs projets. Mais ils en reviennent… Ils ont bien vu que leurs films finissent noyés dans le catalogue de ces plateformes. Un long-métrage qui sort directement en VOD passe assez inaperçu. Il n’y a ni promotion, ni tournée en province, ni rencontre avec le public… Dans la vie d’un film, la sortie en salle reste fondamentale.
